
À une époque où les investissements ESG sont devenus une cible politique et où les réglementations deviennent plus strictes, on pourrait s’attendre à ce que les investisseurs leur tournent le dos. Pourtant, les fonds ESG européens résistent, contre vents et marées et contre toute attente.
Une nouvelle étude de Morningstar révèle un paradoxe dans l’investissement durable en 2025. À première vue, une vague de rebranding de fonds et 8,6 milliards de dollars de sorties nettes au premier trimestre semblent indiquer un recul. Plus de 640 fonds européens ont supprimé ou remplacé les termes liés à l’ESG dans leur nom au cours des 15 derniers mois afin de se conformer aux nouvelles règles de l’UE contre l’écoblanchiment. Des termes tels que « ESG » et « durabilité » disparaissent des prospectus et font place à des termes tels que « screened », « transition » ou « leaders ».
Pourtant, en dépit d’une réglementation plus stricte et de critiques croissantes, en particulier aux États-Unis, les stratégies ESG n’ont pas fait l’objet d’une désaffection massive. En effet, les sorties sont contrebalancées par un flux d’entrée révisé de 18 milliards de dollars au quatrième trimestre 2024.
Au cours des trois premiers mois de l’année, l’Europe a enregistré pour la première fois depuis 2018 une décollecte trimestrielle des fonds durables de 1,2 milliard de dollars, mais celle-ci est éclipsée par les 2 700 milliards de dollars encore investis dans ces fonds. Selon Morningstar, les actifs ESG mondiaux s’élevaient à 3 160 milliards de dollars à la fin du mois de mars. En Europe, l’ESG reste intégré dans les portefeuilles, mais si c’est sous une forme différente.
« Pas d’hémorragie systémique »
« À première vue, il semble que les entrées dans les fonds ESG aient stagné, mais il n’y a pas d’hémorragie systémique », déclare Ismet Soyocak, responsable ESG et minéraux critiques chez SFA Oxford, une société de conseil en matières premières et en technologie basée au Royaume-Uni. « Malgré un contexte géopolitique et réglementaire turbulent, avec des reculs politiques aux États-Unis et un assouplissement temporaire en Europe, plusieurs facteurs fondamentaux soutiennent la confiance dans les fonds ESG. »
Hortense Bioy, responsable de la recherche sur l’investissement durable chez Morningstar, partage cette analyse. « Il n’y a pas de sorties majeures depuis l’Europe », écrit Mme Bioy sur LinkedIn. « Les actifs des fonds ESG restent élevés. »
Selon M. Soyocak, l’investissement ESG n’est plus considéré comme une niche ou comme un investissement purement axé sur les valeurs. « Ce type d’investissement est largement reconnu comme essentiel pour la gestion des risques financiers et physiques, en particulier en ce qui concerne le changement climatique », déclare-t-il à Investment Officer. « Les risques liés aux conditions météorologiques extrêmes et au transport sont de plus en plus souvent pris en compte, et les cadres ESG offrent un moyen structuré d’y faire face. »
Vague de rebranding
Les gestionnaires d’actifs européens se préparent à une vague de rebranding des fonds ESG avant l’entrée en vigueur, le 21 mai, des règles plus strictes de l’AEMF en matière de lutte contre l’écoblanchiment. Selon Morningstar, 335 produits durables ont changé de nom au premier trimestre, dont 116 ont supprimé les termes ESG. En outre, 94 produits ESG européens ont été liquidés ou fusionnés.
La vague de rebranding ne signifie pas l’abandon des principes ESG. Il s’agit principalement de répondre à de nouvelles demandes. L’AEMF exige désormais des fonds qu’ils justifient leurs déclarations ESG par une allocation de 80 % à des objectifs environnementaux ou sociaux, plus des exclusions pour les combustibles fossiles et d’autres secteurs controversés.
Pour de nombreux fonds, il s’agit là d’un pas de trop, car ils préfèrent se débarrasser de l’étiquette tout en conservant la stratégie.
Par exemple, le fonds PGIM European Corporate Bond a discrètement supprimé le terme ESG de son nom, mais continue d’appliquer des filtres ESG. Les ETF thématiques d’Amundi ont suivi le mouvement. D’autres gestionnaires en Europe et au Royaume-Uni s’adaptent également pour se conformer aux exigences de l’AEMF et les Sustainable Disclosure Requirements (SDR) du Royaume-Uni.
Des promesses en l’air involontaires
« Nous n’avons pas fait de promesses en l’air, contrairement à ce qu’on fait un certain nombre de personnes, souvent sans le vouloir », déclare Catriona Marshall, responsable des investissements durables chez Comgest, à Investment Officer. L’analyse ESG, dit-elle, reste au cœur de leur ADN d’investissement, quel que soit le nom du fonds.
Même aux États-Unis, où la rhétorique anti-ESG s’est transformée en législation, des entreprises comme Natixis changent le nom de leurs fonds mais pas leurs processus d’investissement. Le langage devient plus réservé, mais la conviction demeure.
Lodewijk van der Kroft, directeur pour le Benelux chez Comgest, voit dans ces changements une opportunité pour les stratégies ESG. Comgest prévoit de lancer un nouveau fonds ESG aux États-Unis. « Nous pensons que ce retrait a créé une dynamique pour le lancement de la version américaine de notre fonds classique », déclare M. Van der Kroft.
Mme Marshall a indiqué que le nouveau fonds s’adresse aux investisseurs européens qui souhaitent investir aux États-Unis dans le respect des normes de l’AEMF. « Avec le lancement de Comgest Growth America ESG Plus, nous allons quelque peu à contre-courant. Nous observons beaucoup de scepticisme et de négativité sur les questions ESG aux États-Unis, mais cela n’enlève rien au fait que les investisseurs européens pourraient avoir à investir dans le cadre des normes des réglementations AEMF aux États-Unis », explique Mme Marshall.
Repositionnement plutôt que décrochage
Selon M. Soyocak, les données de flux montrent clairement que le marché ESG est dans une phase de repositionnement. Les investisseurs distinguent la volatilité temporaire de la transition à long terme vers la durabilité.
« Les marchés réagissent naturellement aux chocs, se repositionnent et passent à autre chose, et il semble qu’il s’agisse d’une de ces phases de repositionnement plutôt que d’un décrochage systémique », déclare-t-il.
Le nouveau dictionnaire des investisseurs ESG
Source : Morningstar Sustainalytics Research. Données de mars 2025.