
Perspectives du marché obligataire
Alex Veroude, responsable mondial de la gestion obligataire, estime que les investisseurs obligataires peuvent s'armer contre les incertitudes à venir en identifiant les tendances clés et en diversifiant leurs portefeuilles.
Il peut être difficile de déterminer la direction que prendront les prix des actifs lorsque les mouvements du marché dépendent souvent des annonces d'une seule personne. Les fluctuations brutales des marchés, qui faisaient un temps les unes des journaux, pourraient finir par lasser. La stratégie agressive de la Maison Blanche pour fixer des prix élevés (en commençant par des droits de douane exorbitants afin que tout prix inférieur paraisse raisonnable) oblige le monde entier à s'adapter rapidement au changement de régime commercial.
Au moment où nous écrivons ces lignes, seuls quelques pays avaient conclu un accord préliminaire avec les États-Unis et des recours juridiques pourraient encore entraîner l'annulation de certaines hausses de droits de douane. Les droits de douane définitifs pourraient donc s'avérer plus élevés que prévu, ce qui alimenterait les craintes de récession et de hausse de l'inflation. Ils pourraient également être plus modérés, entraînant alors un rebond des marchés. Quoi qu’il en soit, les résultats seront différents selon les pays. Les États-Unis seront parmi les plus durement touchés, le consommateur américain étant probablement confronté à des prix plus élevés, ce qui pèserait sur la croissance économique, à mesure que les ménages se replient sur eux-mêmes et que les entreprises reviennent sur leurs plans d’investissement. Paradoxalement, l'Europe et la Chine pourraient connaître une baisse de l'inflation, à mesure que les marchandises destinées aux États-Unis trouvent des débouchés dans ces régions.
Le président Trump considère l’imprévisibilité comme un outil de négociation utile, mais elle élargit également l’éventail des résultats économiques. Les marchés obligataires n’aiment pas l’incertitude et les primes de terme des obligations américaines à long terme ont augmenté, car les investisseurs exigent une rémunération plus élevée (sous forme de rendements obligataires plus élevés) pour prêter sur des périodes plus longues.
Un sentier bien tracé
Mais ne nous focalisons pas sur les droits de douane. La plupart des mouvements observés sur les marchés obligataires reflètent des tendances à plus long terme, à commencer par la réévaluation du coût du capital. Les politiques de taux d'intérêt nuls ou négatifs qui ont marqué la décennie suivant la crise financière de 2008 sont désormais considérées comme une aberration.
Les marchés prêtent de nouveau attention à la dette. De nombreux gouvernements manquent de discipline budgétaire (les emprunts sont élevés malgré des économies au plein emploi ou proches du plein emploi) et les dépenses de défense augmentent. Ajoutez à cela des banques centrales qui réduisent activement leurs bilans et c’est au secteur privé qu’il incombe d’acheter les nouvelles émissions de dette publique. Les réformes structurelles, comme celle des fonds de pension néerlandais, devraient quant à elles encourager les allocations aux actions. Les rendements des obligations à plus long terme ont donc augmenté. Le phénomène est mondial : les courbes de rendement, qui représentent les rendements des obligations d’État en fonction de leur échéance, se sont pentifiées en Allemagne et au Japon, et pas seulement aux États-Unis (graphique 1).
La contrepartie de la hausse des rendements obligataires est que les investisseurs peuvent bénéficier de revenus plus élevés. Les coupons ou revenus d'intérêts ont toujours été le principal facteur contribuant à la performance totale des titres obligataires au fil du temps. Pensons-nous que les obligations à long terme sont proches de leurs rendements maximaux ? Probablement, mais les inquiétudes concernant la discipline budgétaire, l'indépendance de la Réserve fédérale américaine (Fed) (le mandat de Jerome Powell à la présidence de la Fed expire en mai 2026) et la volonté – ou non – des investisseurs étrangers de détenir des actifs américains pourraient créer de la volatilité dans les mois à venir. Cela dit, même si les investisseurs non américains pourraient être davantage enclins à diversifier leurs placements hors des bons du Trésor américain, nous continuons de penser que ces derniers joueront un rôle essentiel dans les portefeuilles des investisseurs pendant plusieurs décennies encore.
Consulter la carte
L'inflation a diminué à l'échelle mondiale par rapport aux sommets atteints en 2022, mais sa trajectoire descendante avait déjà commencé à se stabiliser quelque peu avant la prise en compte de l'impact potentiel de l'intensification des tensions commerciales. La modération de l’inflation a permis aux principales banques centrales (hors Japon) de baisser leurs taux d’intérêt au cours des 12 derniers mois et nous anticipons de nouvelles baisses par la Banque centrale européenne (maîtrise de l'inflation) et la Banque d’Angleterre (croissance économique faible). Si les droits de douane pèsent sur l’économie américaine, nous pourrions assister à des baisses avant la fin de l’année, mais la Fed a clairement indiqué qu’elle avait besoin de plus de données. L’effondrement du prix du pétrole pourrait être le signe avant-coureur d’une faiblesse économique imminente (et pas seulement la conséquence d'une hausse de la production de l’OPEP), mais la Fed pourrait être confrontée à un problème de crédibilité si elle abaisse ses taux d’intérêt alors que l’inflation est supérieure à son objectif. La Fed surveillera de près les anticipations d’inflation (figure 2). L'évolution des marchés du travail au cours des prochains mois sera déterminante à cet égard.
Une partie de la pentification de la courbe des taux évoquée précédemment reflète les baisses de taux et toute baisse supplémentaire devrait se répercuter sur les segments à court terme de la courbe, l'impact sur les obligations à plus long terme étant plus incertain. Dans un tel environnement, nous pensons que les obligations de haute qualité et à échéance plus courte offrent une meilleure protection contre l’incertitude. Les investisseurs peuvent également se tourner vers le reste du monde, où la voie vers une baisse des taux d’intérêt est plus clairement balisée.
Vue sur la vallée
Les spreads de crédit (le rendement supplémentaire qu'offre une obligation d'entreprise par rapport à une obligation d'État de maturité similaire) se sont élargis pendant la panique tarifaire d'avril, mais ont rebroussé chemin depuis. Les spreads sont relativement bas au regard du passé et, à l'instar des marchés actions, n’intègrent pas une récession (figures 3a, 3b).
Mais est-ce bien nécessaire d'intégrer une récession ? L'incertitude commerciale devrait peser sur la croissance cette année, mais la plupart des économistes continuent de tabler sur un ralentissement plutôt que sur une récession. Les fondamentaux des obligations d'entreprises étaient solides avant l'annonce des droits de douane, de nombreuses entreprises affichant une situation financière saine et des bénéfices solides. On pourrait avancer que le choc des droits de douane est du même ordre que la crise énergétique de 2015 ou que la crise de la dette de la zone euro de 2011 et que les spreads devraient être plus élevés. Mais les investisseurs semblent prêts à considérer les rendements actuels (qui sont comparables ou supérieurs à ceux de l’époque) et sont disposés à prêter aux entreprises, comme en témoigne l'appétit soutenu pour les nouvelles émissions.
Compte tenu des arguments des deux côtés, nous pensons qu'il convient de faire preuve d’agilité. Nous privilégions les obligations d'entreprises moins exposées aux perturbations commerciales et dont le modèle économique est résilient, toutefois les rendements étant relativement élevés, nous sommes prêts à exploiter les inefficiences de prix dans les segments plus risqués du marché.
La titrisation en renfort
Nous soutenons depuis un certain temps déjà que les investisseurs doivent prendre en considération l'ensemble des actifs obligataires. Les secteurs titrisés peuvent être un terrain inconnu pour beaucoup, mais à notre avis, ils sont proposés à des prix attractifs et présentent une qualité de crédit élevée. Les ABS (titres adossés à des actifs) et les CLO AAA (obligations adossées à des prêts notées AAA) peuvent, grâce à leur structure à taux variable, offrir une voie alternative aux investisseurs en quête de rendements attractifs et de faible duration. Les niveaux élevés des spreads, la faible sensibilité aux taux d'intérêt et la structure d'amortissement des CLO AAA ont permis à ce segment du marché obligataire de bien résister à la volatilité récente induite par les droits de douane.
Les MBS d'agences continuent de paraitre intéressants en raison de leur prix relativement bon marché par rapport aux obligations d'entreprises investment grade, de leur capacité historique à servir de bouclier lors des corrections des marchés d'actions et de leur risque de remboursement anticipé exceptionnellement faible. Les remboursement anticipés se multiplient généralement lorsque les taux d'intérêt baissent et que les propriétaires optent pour des prêts hypothécaires à taux inférieur. Cela peut empêcher les MBS de tirer pleinement parti de la baisse des taux d'intérêt. Aujourd’hui, cependant, les emprunteurs américains sont peu incités à rembourser leur prêt hypothécaire par anticipation, les taux hypothécaires actuels étant bien supérieurs aux niveaux auxquels leurs prêts ont été contractés il y a quelques années.
Ces dernières années, la hausse des taux d’intérêt et le resserrement quantitatif ont pesé sur les MBS, conduisant à une situation anormale où les spreads sont plus élevés que ceux des obligations d’entreprise américaines investment grade (IG). Avec la perspective de la fin du quantitative easing (QE) et de nouvelles baisses de taux, nous voyons cette anomalie de spread se résorber, faisant des niveaux actuels un point d’entrée potentiellement attractif (figure 4).
Les investisseurs seront toujours confrontés à un paysage financier changeant. Celui-ci peut sembler plus difficile en ce moment, mais nous considérons que les revenus offerts par les titres obligataires constituent un facteur de stabilisation et apportent de la diversification face à des marchés actions plus turbulents. En s'équipant d'un portefeuille bien diversifié qui combine différentes formes de titres obligataires, les investisseurs peuvent bénéficier d'une exposition à des sources de revenus variées et se prémunir contre les risques dans un domaine particulier. Grâce à une approche active – qui exploite des tendances pérennes et agit de manière tactique pour saisir les opportunités – nous pensons que les investisseurs peuvent progresser à pas sûrs vers leurs objectifs d’investissement.
En savoir plus: Perspectives d'investissement en milieu d'année 2025
Informations importantes
Titres de créances adossés à des prêts (Collateralised Loan Obligations - CLO) : titres de dette émis en différentes tranches, avec des degrés de risque variables, et adossés à un portefeuille sous-jacent composé principalement de prêts aux entreprises de catégorie haut rendement. Le remboursement du capital n’est pas garanti et les prix peuvent baisser si un émetteur n’honore pas ses paiements en temps voulu ou si sa solidité financière se détériore. Les CLO sont soumis à un risque de liquidité, au risque de taux d’intérêt, au risque de crédit, au risque de remboursement anticipé et au risque de défaut des actifs sous-jacents.
Les titres obligataires sont soumis aux risques de taux d’intérêt, d’inflation, de crédit et de défaut. Le marché obligataire est volatil. Lorsque les taux d’intérêt augmentent, le prix des obligations baisse généralement, et vice versa. Le remboursement du capital n’est pas garanti et les prix peuvent baisser si un émetteur n’honore pas ses paiements en temps voulu ou si sa situation financière se dégrade.
Les obligations high yield ou « junk » impliquent un plus grand risque de défaut et de volatilité des prix. Elles peuvent connaître des variations de prix soudaines et brutales.
Les titres adossés à des créances hypothécaires (MBS) peuvent être plus sensibles aux variations des taux d'intérêt. Ils sont exposés au risque de prolongement lorsque la hausse des taux d’intérêt incite les emprunteurs à prolonger la durée de leurs hypothèques et au risque de remboursement anticipé lorsque les emprunteurs remboursent leurs hypothèques plus tôt que prévu à la faveur de la baisse des taux d'intérêt.Ces risques peuvent diminuer leurs performances.
Le resserrement quantitatif (ou QT pour Quantitative Tightening) est une politique monétaire du gouvernement utilisée occasionnellement pour diminuer la masse monétaire en vendant des titres d’État ou en les laissant arriver à échéance et les sortir de ses encaisses.
L'assouplissement quantitatif est une politique monétaire gouvernementale utilisée occasionnellement pour augmenter la masse monétaire en achetant des titres d’État ou d’autres titres sur le marché
Les produits titrisés, tels que les titres adossés à des créances hypothécaires et à des actifs, sont plus sensibles aux variations des taux d'intérêt, présentent un risque de prolongation et de remboursement anticipé et sont soumis à davantage de risques de crédit, de valorisation et de liquidité que les autres titres obligataires.
Les performances passées ne préjugent pas des résultats futurs. Rien ne garantit que les tendances passées se poursuivront ni que les prévisions se réaliseront.